La Bibitte
Organe de création indiscipliné
entre les plaines
les canyons
les champs
les montagnes
le ciel
les nuages noirs gris blancs
les villes les villages et le beau grand milieu de nulle part
tu t’acharnes tu t’acharnes
à prendre photo par dessus photo
l’immensité des paysages ne parvient toujours pas
à rentrer dans le tout petit écran de ton téléphone cellulaire
et tu as beau faire le vide
t’ouvrir autant que tu peux
à tout ce que tu vois à tout ce que tu vis
tu as beau aspirer les horizons et les paysages
comme si tu t’étais piqué deux pailles au bout des yeux
ni la tête ni le corps
ne parviennent à tout accueillir ce que tu croises
le voyage c’est un combat
un combat où tu encaisses
surprises
imprévus
et autres coups du destin
en combattant pour rester debout
encaisser
la canicule sur le dos
100 Fahrenheit ça fait combien déjà en degrés Celsius ?
encaisser
boire la gourde jusqu’à la dernière goutte
suer un plein lavabo de sueur
encaisser
te réveiller au beau milieu d’un casino
immémoriale odeur de cigarette
les yeux et les oreilles crispés
par les lumières criardes
l’orgie d’effets sonores
et la waytress qui livre des Coronas
à tous ceux scotchés à leur machine
l’âge légal pour boire au Nevada est 21 ans
mais les kids courent en arrière-plan
à travers la fumée de cigarette
ils font une course à obstacle
entre les tables de Black Jack pas ouvertes
encaisser
le port d’arme permis en ville au Nevada
mais juste si l’arme est visible
anyway qui a besoin d’un gun pour faire son épicerie ?
encaisser
la solitude
qui a une toute autre saveur en plein milieu du désert
encaisser
les hotels-casino
les motels-casino
les liquor-store-casino
les gaz station-casino
les drug store-casino
pis j’en passe
encaisser
l’immensité de la mosaïque humaine
les pousseux de paniers
qui ont leur vie dans une cage à roulettes
les cool kids du Colorado
les skateux buena onda de la Californie
encaisser
les hobos
les junkies
les fuckés
les hippies
les vieux hippies
les néo-hippies
les wannabie hippies
désolé la couleur de votre tie-die crie que vous êtes rien que des wannabie
la confrérie des va-nu-pieds
les buveux de bière
les poffeurs de pot
pognés à fournir des pofs à leurs amis
aux amis de leurs amis
aux chums des amies
aux blondes des amis des amis
les tripeux en tous genre
et les touristes
encaisser
les touristes à en plus finir de San Francisco
les touristes à la pelle
les touristes à 200 piastres la nuite
pour un hôtel une étoile et demie
les touristes à pieds
les touristes en tramway
les touristes en segway
les touristes en micro-bolides décapotables jaunes flash à 3 roues 2 passagers
les touristes en autobus deux étages
la trâlée de touristes malhabiles en bicycles
les bancs de sardine de touristes entassés sur les trottoirs du Fisherman’s Wharf
les touristes arrêtés
plantés en plein milieu d’un escalier
plantés en plein milieu d’un trottoir surchargés
les touristes la tête tournée dans n’importe quelle direction
à part celle dans laquelle ils marchent
les touristes girouettes
de quel bord on serait sensés aller
quelle clôture on serait sensés grimper
pour avoir la plus belle vue
celle que personne n’a jamais eu du Golden Gate Bridge
les touristes toupies
coups de sac à dos dans face
pilage sur les pieds de son prochain
touristes gâcheurs de photo des autres touristes
touristes auto-tamponneuses
touristes
ces collisions auraient clairement pu être évitées
quand je disais que j’avais envie de rester marqué par mon voyage
je voulais pas nécessairement dire avoir plein de bleus partout
ODE aux travailleurs culturels
Lu publiquement le 10 novembre 2018, dans le cadre du Micro-ouvert au profit de la Place des arts de Sudbury, au Little Montréal
à vous
chers travailleurs culturels
ouvriers de la lumière
et de l’ombre
qui échafaudez les fondations
pour que les rêves les plus fous deviennent réalité
à vous
astrophysiciens du quotidien
qui tordez l’espace-temps
pour réussir à faire entrer une autre réunion
dans un agenda déjà peinturé de bord en bord
à vous
prestigitateurs des tableaux Excel
qui en l’espace d’un double clic
ajout d’un onglet trois colonnes et huit lignes
faites apparaître des revenus autonomes
et des commandites en nature
puis annihilez les manques à gagner
à vous qui restez debouts bien droits
chênes aux racines inébranlables
malgré les jambettes répétées
à vous
tous autant que vous êtes
directeurs
directrices
codirecteurs
coresponsables des communications
coagents de projet
et de développement
et du marketing
et de la gestion des communautés
et des réseaux sociaux
parce que t’as moins de trente-cinq ans
personne d’autre que toi peut gérer le compte Instagram de l’organisme
puis tous les autres synonymes de noms de poste qui veulent dire
quelqu’un qui a deux bras prêts à travailler
une tête prête à surchauffer
puis un coeur prêt à pomper jusqu’à plus soif
à vous qui avancez tête baissée
sans avoir froid aux yeux
les ailes pleinement déployées
à vous qui avancez
à coup de sueur
à coup d’huile de bras
de ben de la vonlonté
pis de la « voulance » en masse aussi
infatigables avanceurs et avanceuses
pelleteuses et pelleteux de nuages
qui ont compris que pelleter des nuages
c’est une pas pire façon d’excaver dans le gris de la vie
pour laisser entrer encore plus de lumière
à vous bucheuses acharnées
à vous hommes et femmes aimants
par qui on est attirés
hommes et femmes âtres
autour de qui on se rassemble
quand la vie manque de chaleur
à vous qui font advenir l’imprévu
l’imprévisible
l’encore inconnu
avec cinq cennes et demie
à vous rassembleuses
et assembleurs de casse-tête logistiques
à vous brises-glace
qu’on suit nonchalamment avec nos chaloupes gonflables
à vous qui savez ce que c’est refaire son c.v. vingt fois par année
parce que le projet demande pas tout à fait la même compétence
pas tout à faite le même aspect de votre vaste expérience
dans le club des débrouillards des OSBL
à vous qui suivez des webinaires sans broncher
sans même aller gosser sur Facebook pendant l’interminable et plate période de questions
à vous qui savez mieux que Mélanie Joly c’est quoi ça
le cârébine de virage numérique
tout le monde sauf elle le sait !
bien sûr
c’est de virer nos ordinateurs dans une position Feng Shui
et répondre seulement à nos cellulaires en faisant face au Nord
à vous qui ne rentrez pas du travail à cinq heures
mais qui préférez sortir
pour manger cinq quartiers de sandwiches et 14 cruditées
à une énième réunion de C.A.
et autres comités de concertation
du développement
de l’amélioration
de la plenière
de la relation communauté-organisme
dans l’espace de coworking du monde virtuel intersidéral
à vous
cacheurs de cernes
à coup de quatorze cafés
après la ribambelle de triennales et de quadriennales
d’initiatives spéciales et autres patentes à gosses de 150ème
« manquez pas votre chance
ça arrive juste une fois dans une vie »
ce sont des relations qui demandent ben de l’énergie à entretenir
des relations qui fatiguent jusqu’à la moelle
c’est pour ça qu’on appelle ça des bailleurs de fonds
ça fait bailler d’épuisement
à vous
conciliateurs bancaires
signataires récidivistes
fomenteurs et fomenteuses de révolutions
de tous ces projets
« ça se peut juste pas »
« c’est ben trop »
« ben voyons »
« crissément pas possible »
mais qui lèvent le sourcil gauche
puis qui ont d’imprimés au fond des pupilles
des pancartes où il est écrit
« just watch me »
mais vous savez
si vous êtes épuisés
harassés
vannés
exsangues
à peu près zombies de fatigue
votre timing est bon
l’Halloween vient juste de passer
à vous championnes du monde de la géométrie
qui savez faire entrer des carrés dans des cercles
et des parallélogrammes dans des triangles scalènes
à vous tous
qui aviez choisis une carrière
en bien bons citoyennes et citoyens
et qui un jour se sont réveillés travailleurs et travailleuses culturels
je lève mon verre
à vos bras de pieuvre
à votre front de boeuf
car que serait la vie sans vous vous et vous !?